A la recherche des rhinocéros d’Ouganda au Ziwa Rhino Sanctuary

Accoudée au comptoir du bar de l’hôtel je lis une énième page sur Murchison Falls pour me rendre compte une fois encore de l’enfer qui nous attend en allant là bas. Des heures de bus pour Masindi, des heures de bus, de galère pour atteindre les chutes et puis le prix du parc, le guide obligatoire et tout ça pour quoi ? 20 minutes de marche vers le haut des chutes et un retour dès le lendemain à Kampala. “Et si on laissait tomber Murchison ?” On se regarde, on se comprend.La carte est ouverte, je lui pointe Nakitoma que j’avais repéré avant mon départ il y a 1 mois et demi. “Là, il y a des rhinos, les seuls en Ouganda.” / “Ok, on part chercher les billets”.

Je vous écris du Ziwa Rhino Sanctuary, au retour de notre rencontre avec Bella, 16 ans et Luna sa fille de 1 an et demi, 2 des 15 rhinocéros blancs d’Ouganda.

Le massacre des rhinocéros blancs

Amin Dada vous connaissez ? Ce dictateur qui a retourné l’Ouganda dans les années 70 et qui a été à l’origine de beaucoup de problèmes dans le pays. L’un de ces problèmes est la totale disparition des rhinocéros blancs et noirs d’Ouganda. Avant Amin Dada il y avait dans le pays une population respectable de rhinocéros mais à son arrivée au pouvoir les chiffres se sont inversés. N’est pas chef d’Etat compétent qui veut, le dictateur n’était pas de ceux qui savait gérer un Etat et encore moins homme à protéger les ressources de son pays. Des parcs sans protection signifient des animaux sans protection et cette vulnérabilité a coûté la vie à une population entière de rhinocéros. Blancs ou Noirs ils ont tous été massacrés et pour quelle raison ? Leurs cornes. Cette corne aux pouvoirs mystiques qui peut donner aux hommes une vigueur sexuelle qui fera pâlir leur partenaire. C’est bien sûr prouvé que tous les incapables sexuels, les détraqués du slip vont devenir de véritable dieu grâce à un peu de poudre de corne de rhinocéros, corne récupéré à la seule condition d’ôter la vie à un animal majestueux, pacifique, inoffensif (ou presque).

Alors nous voilà dans le vif du sujet, dans la plaie ouverte qui gangrène l’Afrique et ses populations sauvages : le marché asiatique. Ce marché qui est à l’origine de bien des maux en Afrique je ne le tiens pas pour unique responsable de l’appauvrissement des populations du continent, on peut aussi citer la chasse ou la mauvaise gestion des parcs par les gouvernements mais on ne va pas non plus minimiser l’impact de ce marché sur la mauvaise santé de certaines populations animales.

Depuis plusieurs années les rhinocéros souffrent de plus en plus du braconnage, si en Ouganda le phénomène est endigué par la gestion d’une petite population on peut très bien citer l’Afrique du Sud qui voit le braconnage augmenter de manière exponentielle ces dernières années : si on comptait une dizaine de rhinocéros tués par des braconniers au début des années 2000 aujourd’hui le chiffre monte à plus de 1000 tués chaque année pour alimenter un marché asiatique en regain.

Pourquoi ? Pourquoi continuer à ingérer des cornes de rhinocéros quand ils pourraient très bien manger leurs cheveux, leurs ongles ou juste aller chercher la petite pilule bleue à la pharmacie ? Pourquoi pondre encore aujourd’hui des espèces de recherches farfelues qui osent attestées de l’efficacité de la corne de rhinocéros sur la gueule de bois ? Sérieusement ? La connerie humaine peut aller tellement loin qu’elle en devient étonnante dans son excès.

Plus qu’à n’importe quelle époque les rhinocéros doivent faire face à ces menaces, à ces populations grandissantes toujours en quête de solutions à leurs insignifiants problèmes, à ces populations mal éduquées et qui s’imaginent que les rhinocéros poussent dans les arbres et ne vont jamais disparaître. C’est pour faire face à la disparition injuste des rhinos en Ouganda et pour éduquer les populations à l’avenir des rhinocéros que le Ziwa Rhino Sanctuary a vu le jour.

Le Ziwa Rhino Sanctuary

Après avoir littéralement sauté du bus dans la petite bourgade de Nakitoma on rejoint le Ziwa Rhino Sanctuary à dos de boda-boda. Mon sac énorme coincé sur le réservoir de la moto on s’enfonce, on s’enlise même, dans la boue du chemin sinueux qui mène jusqu’à la porte d’entrée.

Une fois arrivés, les arrangements faits, on se prépare pour partir à 15h à la recherche de ces imposantes créatures. Notre camp est situé en plein milieu du parc, des panneaux “BEWARE” surmontés d’un dessin de Rhinocéros sont laissés aux 4 coins du camp comme pour rappeler aux touristes qu’ils sont sur le territoire des rhinocéros et qu’à tout moment ils peuvent en rencontrer un. Pour le moment on n’a croisé qu’un phacochère pas farouche qui se promène aux alentours des bureaux, dévorant les tapis et râlant lorsqu’il se fait pousser hors du bureau des rangers.

Edward se présente à alors nous, guide depuis 6 ans au Ziwa Rhino Sanctuary, son sourire engageant nous rassure tout de suite sur son caractère avenant, il nous explique que les rhinocéros ne sont pas loin et qu’on va marcher un peu pour les trouver. Le soleil est encore haut dans le ciel, il tape fort, on commence notre marche sur les chemins de terre rendu boueux de la dernière pluie, on s’approche petit à petit du moment fatidique de la rencontre.

Pendant notre courte marche Edward nous parle de l’histoire des Rhinocéros d’Ouganda, décimés à l’époque d’Amin Dada, il nous explique que les animaux présents dans le sanctuaire sont originaires du Kenya exceptés pour 2 individus en provenance directe de Floride aux Etats Unis. Il nous parle aussi du mode de vie de ces animaux particuliers, ils ne vivent qu’en couple mère/enfant ou parfois à trois mais jamais en groupe. Il y a pour le moment 3 mâles et 3 femelles jeunes adultes ( matures sexuellement ) et des jeunes ( non matures ) dont 3 bébés de moins de 2 ans toujours avec leurs mères. De notre côté on se dirige pour rencontrer l’une des mères et sa jeune fille. Après nous avoir expliquer les règles de sécurité (“monter dans un arbre s’il y a danger !“) et eu une dernière confirmation par radio de la situation des rhinos, on quitte le sentier pour s’enfoncer plus profondément dans la brousse.

Le ranger est assis dans l’herbe à quelques pas de nous, Edward regarde au loin et nous demande “Do you see any rhinos ?“. Je pointe du doigt une forme derrière les arbres, elle bouge, c’est Bella. Pour quelqu’un comme moi qui suit profondément amoureuse de la faune sauvage l’effet est immédiat, transcendant. J’ai des rhinocéros sous les yeux, à quelques mètres de moi, une mère et son bébé, son gros bébé d’un an et demi. On s’approche un peu plus d’elles alors que Bella commence doucement à s’affaisser sur le flanc. Elle présente son ventre à sa fille qui se précipite pour téter, le spectacle est fantastique.

Ziwa Rhino Sanctuary
Ziwa Rhino Sanctuary

L'avenir de l'espèce en Ouganda

Après quelques minutes de contemplation Edward nous explique que les rhinocéros du Ziwa Rhino Sanctuary sont surveillés par des rangers 24h sur 24 pour empêcher toute attaque sur les animaux. Au sanctuaire ils n’ont encore jamais souffert d’attaque de braconniers, la seule perte à noter a été celle d’un jeune mâle de 5 ans attaqué par un autre mâle, une mort qu’on pourrait presque qualifiée de naturelle puisqu’elle s’est faite selon les lois de la Nature malgré les tentatives de l’équipe pour sauver l’animal blessé.

Malgré l’absence de braconniers qui oseraient s’attaquer aux rhinocéros les rangers récupèrent quand même des pièges posés par les habitants des environs qui cherchent à attraper les antilopes qui peuplent aussi la zone, des pièges qui, même s’ils ne sont pas fait pour les rhinos, pourraient quand même représenter un danger pour eux et surtout pour les plus jeunes.

Mais pourquoi veiller tout le temps sur eux ? On a entendu parler des colliers GPS et autres combines pour surveiller les animaux à distance sans veiller sur eux de manière invasive. Parce que si on trouve à surveillance permanente des avantages quant à l’efficacité de la protection on peut aussi noter que ça signifie une habituation à l’Homme qui peut être dramatique pour l’animal une fois qu’il sera livré à lui même (aucune peur des Hommes par exemple). Malheureusement il n’y a pas de meilleure méthode que celle-ci pour s’assurer que les animaux vont bien. Un collier GPS vous indique la position de l’animal mais vous ne saurez jamais s’il est en détresse. C’est le constat qu’à fait l’équipe lorsqu’une des femelles alors primipare à donner naissance à un bébé mort né. A partir de là chacun des rhinocéros a eu son escorte personnelle qui n’interagit bien sûr pas avec eux au sens physique du terme.

Si la surveillance évite toute tentative des braconniers de s’attaquer aux animaux pour le moment il n’en sera sûrement pas toujours le cas. Ces animaux ne sont pas destinés à rester indéfiniment au sanctuaire, le but étant qu’ils se reproduisent et soit les précurseurs de la réintroduction des rhinocéros blancs dans le pays. Edward nous explique que d’ici quelques années ils atteindront un nombre suffisant de rhinocéros ( une trentaine ) pour permettre la mise en place de la réintroduction qui débutera par l’envoi d’une dizaine d’individus au parc de Murchison Falls, parc peuplé de rhinos avant l’extinction des populations. Mais ce nombre n’est pas encore atteint et ça pourra prendre des années et des années avant qu’il le soit sachant qu’il n’y a que 3 femelles au Ziwa Rhino Sanctuary et qu’elle ne font des bébés que tous les 2 ans. En plus de ça il y a toujours la possibilité de consanguinité au long terme, on ne peut évidemment pas repeupler l’Ouganda avec 6 rhinocéros reproducteurs. C’est pour pallier à ce “problème” que l’Afrique du Sud a offert au sanctuaire 10 nouvelles femelles avec un hic dès le départ : le manque de fonds du sanctuaire pour acheminer les animaux jusqu’en Ouganda. Ces femelles restent donc prévues mais sans savoir à quel moment il sera possible au sanctuaire de les récupérer.

Ziwa Rhino Sanctuary
Ziwa Rhino Sanctuary
Ziwa Rhino Sanctuary
Ziwa Rhino Sanctuary
Ziwa Rhino Sanctuary

Les mesures de protection mises en place

En attendant le programme de reproduction continue et les animaux nés à ce jour auront peut être la chance de retrouver la Nature un jour dans un environnement qui ne sera pas aussi protégé que celui dans lequel ils sont nés. Cette réintroduction implique un challenge énorme, celui de réussir à protéger ces animaux face aux braconniers qui n’attendront sûrement pas longtemps avant de s’en prendre à eux. La solution est simple et me semble beaucoup moins expérimentale que celles testés en Afrique du Sud et qui ont coûté la vie à un rhinocéros il y a quelques temps : pucer les cornes. Je vous en avais déjà parlé quand il a été question de l’Afrique du Sud d’ailleurs, leurs dernières dispositions vis a vis des rhinocéros ont aussi été de pucer les cornes après avoir échoué à les empoisonner pour les rendre impropres à la consommation ( une idée pas bête mais qui a mal tournée ). Résultat toutes les cornes des rhinocéros du sanctuaire sont pucées pour permettre l’identification de l’animal. Une corne saisit à la douane aura maintenant une provenance et la personne qui la transporte pourra se retrouver à avoir des démêlées avec la justice dans le pays d’origine de l’animal lâchement abattu.

Pour placer une puce dans la corne du rhinocéros le principe est assez simple : l’animal est fléché avec un tranquillisant et la corne est coupée à son extrémité la plus haute ( un petit morceau ! ) pour introduire la puce puis recolmater tout ça. La corne n’est pas altérée et le procédé ne met pas la vie de l’animal en danger. La question à se poser maintenant est de savoir si le dispositif est vraiment efficace face aux braconniers. Edward nous explique qu’il n’est pas rare que des mâles, en se battant, perdent leur corne et la puce avec, une nouvelle corne repousse alors mais la puce, elle, est à replacer ! Et puis si toutes les cornes sont maintenant pucées pourquoi les braconniers n’enlèveraient pas simplement la puce ?

Le braconnage persiste et devient même de plus en plus présent sur le continent africain. J’imagine que si ce dispositif de puces doit en calmer certains dans leur frénésie de meurtre mais aujourd’hui la réalité reste que le marché de la corne de rhinocéros grandit avec les populations asiatiques. D’apprendre qu’on fait gober au Vietnamiens que la corne de rhinos pouvait soigner leur gueule de bois m’a aussi permis d’apprendre que 90% des personnes qui ont consommés de la corne de rhinos sont des personnes éduquées, qui sont allés à l’université ! Alors si on ne peut pas non plus considérer toutes les personnes qui fréquente l’université comme des personnes cultivées et à l’esprit plus ouverts que tous les idiots qui ingèrent de la corne de rhinos par stupidité je m’étonne quand même de savoir que ces personnes continuent à croire que de la kératine peut les aider en quoi que ce soit dans des problèmes aussi insignifiants qu’une gueule de bois.

Après avoir passer plus d’une heure à parler avec Edward et quelques temps à réfléchir à tout ça on peut facilement se rendre compte que la solution miracle n’existe pas et que si j’ai envie de croire que la sensibilisation est la clé de ce problème la réalité c’est surtout qu’éduquer les populations est une mission longue et fastidieuse et qu’elle ne peut s’accompagner que de mesures subsidiaires qui permettront d’atténuer les conséquences de la bêtise de certains Hommes et ce jusqu’à ce que chacun de ceux qui auraient pu vouloir de la corne de rhinocéros se disent qu’un peu de paracétamol ne serait pas mal en fait.

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1 Commentaire

  1. […] qui se battent pour sauver la faune du pays. Même si ces organisations comme Ngamba ou Ziwa ont le soutien de l'UWA concernant les programmes de conservation qu'ils ont mis en place l'Etat n'a […]


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